Nils Guadagnin → Unphysical

March 1st - April 30th, 2013

Galerie Derouillon, Haut Marais

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Intitulée Unphysical, l'exposition invite le spectateur à une expérience sensible de l’immatériel. Une sélection d’œuvres récentes tend à nous détourner des schémas conventionnels d’appréhension du monde – et de sa réalité physique – comme de l’œuvre d’art.

Inversion, 2013
PVC, Aluminium, tubes fluorescents, système électrique,70x155x140cm


Flat dimension #1 et #2, 2013
Feuille d’or sur dibond, 69 x 99 x 2,5 cm


L’œuvre de Nils Guadagnin est traversée par les lois qui régissent l’univers, celles de la physique et ses tentatives de modéliser les êtres présents dans le cosmos. Avec l’exposition Unphysical, l’artiste explore les frontières de la connaissance humaine. Il nous propose d’expérimenter l’interaction entre différentes formes traduisant notre impuissance devant ce qui échappe au contrôle de la raison. Notre emprise rationnelle sur le monde rencontre inlassablement les mystères du vide et de la gravité, au cœur d’un questionnement sans réponse, d’une recherche ouverte sur la notion insaisissable de l’infini.

Traduisant le désir d’une émancipation du champ traditionnel de la représentation, l’exposition de Nils Guadagnin à la galerie Derouillon invite à une expérience sensible de l’immatériel. Au cours d’une résidence effectuée à Clermont-Ferrand en 2013 débute une réflexion sur la roche volcanique caractéristique de la région. Résultant du refroidissement rapide d’un magma issu des profondeurs, celle-ci apparaît comme un condensé de tous les éléments - l’eau, l’air, la terre et le feu. Nils Guadagnin se propose alors d’explorer les différents états de cette matière originelle, depuis son incandescence, sa minéralisation, jusqu’à sa volatilisation.

Hanging stone#1, 2014
Mousse polyuréthane, bois, électro aimant
28 x 28 X 125 cm


Tandis qu’il s’empare de fragments de roche volcanique, l’artiste développe une déclinaison d’œuvres destinées à opérer le retour de l’être minéral vers son état informe de magma, puis à traduire sa dissolution finale en particules d’air : Octaèdre, Golden Blanket et enfin Flat Dimension. Avec Flat Dimension (2013), Nils Guadagnin présente une série d’œuvres bidimensionnelles métalliques, auxquelles il applique une certaine quantité de feuille d’or. Apparentées à des tableaux, ces dernières n’offrent pourtant aucune image au regard mais renvoient le spectateur à lui-même par un effet de miroir. L’artiste tend ici à exacerber les propriétés d’un matériau, symbole de pureté et de perfection. On pense à l’or des alchimistes, métaphore d’une évolution intérieure conduisant l’état de matière vers un état spirituel détaché de tout asservissement au monde terrestre. A ces tableaux répond une série de dessins à la mine de plomb sur calque – Fade to Grey, 2012. En exposant au visiteur le revers de chaque feuille par un dispositif d’aimants, Nils Guadagnin propose la contemplation par transparence d’un nuage de poussière. Le motif traité par ce dernier est celui de la tornade, apparaissant ici dans son impossibilité d’être vue, ou du moins d’être saisie par le regard.

Golden blanket, 2013
Feuille d’or sur bache plastique, dimensions variables


Les œuvres de Nils Guadagnin tendent à nous détourner des schémas conventionnels d’appréhension du monde – et de sa réalité physique – comme de l’œuvre d’art. L’espace de la galerie Derouillon accueille Inversion (2013), une œuvre conçue par Nils Guadagnin comme l’addition de deux structures identiques par leurs formes, selon le principe d’une symétrie inversée. Tandis que la fragilité et l’immatérialité caractérisent la première moitié - faite de néons -, la solidité du métal distingue son pendant. Inversion traduit une ambivalence troublante quant aux fonctions potentielles de ces deux éléments ; elle pose ainsi le problème ancestral du socle : l’un des constituants de l’œuvre vient-il supporter l’autre pour le présenter au spectateur ? L’incertitude qui plane sur cette question nous renvoie au relativisme envisagé comme une méthode d’émancipation des hiérarchies établies et de mise en mouvement de la pensée. Tandis que les arrêtes de la structure dessinent le vide de l’espace environnant, la lumière issue des néons irrigue l’espace d’exposition pour révéler son immatérialité.

Hanging Stone (2013) apparaît enfin comme l’expérience déconcertante d’une pierre maintenue dans l’air par le truchement d’un système électromagnétique. Selon l’approche macroscopique du monde par la relativité générale, le principe même de l’univers consiste en des roches en suspension. Et ce, alors que l’apesanteur et la lévitation nous apparaissent comme des phénomènes d’une étrangeté des plus déroutantes. Par cette œuvre, Nils Guadagnin nous propose une contemplation inspirée du mystère de la roche volcanique, cristallisant tous les états de la matière. Il réitère en outre l’aveu d’une impossible distinction entre un socle d’une part, une sculpture d’autre part. Bien davantage, l’élément de bois reposant au sol entre en interaction avec les propriétés physiques de la pierre, annulant par là-même toute tentative de classification verticale. Renversé à 90 degrés, le regard du spectateur se trouve invité à considérer l’espace d’air qui sépare les deux éléments comme le lieu où prend fin l’emprise de son entendement sur le monde.

Dans la pratique de Nils Guadagnin, le regard se disperse dans une certaine quantité d’air, elle-même dessinée par des œuvres aux accents métaphysiques, déjouant les codes de la représentation occidentale. L’espace et le temps y trouvent de nouvelles définitions, tandis que les formes engagent le mouvement d’une pensée renouvelée sur la place de l’homme dans son environnement physique.

Laure Jaumouillé